Little lies

True colors

Feat. ashlyn banner - school bus graveyard

Garder le contrôle, ou en avoir l'agréable illusion.

espiègle – désinvolte – nonchalante – maladresse pathologique – une vision très crue sur le monde – une propension naturelle à espérer – une peur viscérale de se sentir vulnérable – tactile – dévouée – très protectrice envers ses proches – finira par se bruler les ailes – le point de non-retour en ligne d'horizon  – la sensualité des petites danseuses de boites à musique – la culpabilité en seconde peau

SI TEL EST VOTRE DESIR

Le néon crépitait, lancinant dans les ténèbres. La scène bercée par le rouge artificiel enflammait les mèches anarchiques qui encadrait le visage de la barmaid. Les glaçons s’entrechoquèrent au fond de son verre. Les yeux rivés sur le liquide bruns, elle restait indéchiffrable derrière son comptoir. Statut de marbre au corps constellé de petites tâches de rousseurs, il y avait quelque chose de malsain chez elle mais cela lui allait tellement bien. Sa crinière rousse maladroitement disciplinée en deux tresses interminables, son regard brûlant de curiosité sur tout se qu’il touche. Elle parlait un très bon thérien érotique avec beaucoup de souffle dans la voix. Cléo avait hérité de l’harmonie suave des danseuses de cabaret. Des gestes lascifs, avides de contact.

Les créatures de charme ont un secret. Elevée par une poignée d’entre elles, Cléo le connait. Dans la décadence des fins de soirées, le Rouge-gorge revêtait un tout autre aspect. Lorsque les projecteurs cessaient de fonctionner et que les chandeliers se mettaient à étinceler, les fantômes des derniers spectateurs se voyaient absorbés par les loges des danseuses. Les demoiselles de cabaret ne font pas que jouer. Sur le pourpre lancinant des canapés, on entourloupe à coup de caresse et on fait les poches en brandissant des mots d’amour. Derrière la mousseline des rideaux, les silhouettes dansent. Certaines laissent échapper des gémissements sensuels dans des postures plus qu’équivoques. Cléo, elle, n’a jamais eu le droit d’y assister, à cette hécatombe de porte-monnaie. Pourtant, elle sait. Les détails ne lui ont jamais échappés. Quand tout est terminé, que les respirations saccadées cessent, ce sont aux tours des sanglots de s’élever. On panse les plaies, on cache les hématomes, on se lave avec un peu trop d’acharnement, on pleure recroquevillé.es dans les dortoirs. Des sourires sans saveurs. Des corps abimés. Et rien pour y échapper.

Cléo voue une aversion à tous ceux qui profitent de ses femmes de scène, tous ceux qui les brisent un peu plus à chaque fois. Tous ceux qui salissent celles qu’elle aime. Le monde est dégoutant. Et elle se détestait. Oh oui, qu’est ce qu’elle pouvait se détester pour ça. Impuissante. Tout ce qu’elle pouvait faire c’était continué à leur servir un verre, à leur mentir...alors qu’elle savait.

Wasted years

Tw : prostitution, accouchement, décès, un peu d'hémoglobine sur la fin

LES PREMIERES NEIGES

Midwich enneigé revêt ses allures de meringue. Emmitouflée dans sa fourrure, Polaire regarde la ville disparaitre. Les flocons enveloppent tout dans leur chute silencieuse. La cigarette en équilibre au bout de ses doigts, prolongement devenu naturel à force d’y être suspendu, rencontre sa bouche écarlate. Elle inspire.

Depuis le cadre de la porte la femme observe, les passants frigorifiés, ceux ivres morts qui déferlent hilares dans la rue, les amoureux lovés dans les bras l’un de l’autre, ceux perdus qui se recroquevillent. Même sous des températures négatives, Lover’s lane fourmille de vie. Elle expire. Les volutes de fumée s’effacent doucement dans la nuit.

Le premier hurlement de douleur déchire l’air de jazz qui filtrait depuis l’intérieur de l’établissement. ça y est. Esmée avait jusqu’au dernier moment ignoré ses conseils et elle s’apprêtait à en payer le prix. Elle l’avait pourtant prévenue. Certaine grossesse n’avait pas raison d’être. Quel avenir pour un enfant abandonné aux griffes d’une horde de demoiselles de cabaret ? Comment allaient-ils pourvoir lui offrir une éducation descente ? Et si son client revenait et découvrait le petit ? Et s’il leur réclamait ? Esmée n’y survivrait pas.

Les traits tirés par l’inquiétude, elle essaya d’ignorer l’évidence mais les cris devinrent incessants. Les contractions se rapproche. L’espace d’un instant Polaire hésite. Devait-elle se rendre au chevet de son amie ?  Mais l’idée de la savoir assez stupide pour se retrouver dans cet état pour un alpha lui était plus insupportable encore. Esmée était une parfaite petite idiote. Magnifique, certes. Mais bien trop naïve pour ce monde-là. Du gâchis. Voilà ce que c’était.

Soudain, ses mouvements se suspendent. La cigarette grésille puis chute. Polaire se fige, en alerte. Il y avait quelque chose de bizarre. Le silence. Un silence anormal pour une naissance. Etouffant. Pesant. Etrange. Les gémissements plaintifs avaient cessé brusquement. Plus personne ne bougeait comme si tout le cabaret retenait son souffle. Ils se trouvaient privés d’air. L’espace d’un dernier battement de cœur. Ce fut incroyablement doux pour un bruit de mort.

Un talon aiguille crisse sur le verglas. Polaire sursaute. Elle tourne rapidement la tête en sa direction. Les perles qui ornent ses épaisses boucles brunes cliquettent dans son sillage. Dame Désirée venait de dégringoler au contact du sol gelé dans une explosion de jurons et de jupons.  La cantatrice grommela en se rétablissant sur ses deux jambes. Elle frissonnait, ses tissus maintenant imbibés de poudreuse.

-    Alors ? Comment va-t-elle ?
Pour seule réponse, sa collègue lui adresse un signe de tête navré. Polaire comprit immédiatement. Son regard bouleversé. Le teint livide. Les mains qui tremblent. Le mascara ravagé.
- J’ai fait tout ce que je pouvais.
Elle détourna le regard vers l’hivers qui se déchainait dans la ruelle. La morsure de son corset se fit plus étouffante que jamais. Une larme dévala les pentes de ses joues. Une deuxième la pourchassait de prêt. Sa voix, habituellement prouesse de sensualité, se brisa sous l’émotion.
- Et l’enfant ?
- Elle a les yeux de sa mère.

Cette nuit je suis allée embrasser pour la dernière fois le front d’Esmée. Elle était parfaite, encore couverte de plume. Et alors que je pensais mourir avec elle, j’ai rencontré une frimousse rousse qui se pelotonnait contre son corsage. L’enfant a souri. Je me souviens avoir effleurer ses minuscules joues rondes. Elles étaient extraordinairement brulantes de vie.

- Journal de Dame Polaire

Autour de nous les femmes spéculent de bon cœur sur mon sort, c’est comme un concerto joyeux à mes mini oreilles, mais moi je ne peux détourner les yeux de cette femme. On s’observe un long moment ainsi. C’est comme tomber amoureux, comme un accord tacite et silencieux. Notre secret à elle et moi. Je n’ai jamais pu lui demander mais ce jour-là, est ce qu’elle aussi, elle a compris. Que je l’appellerai « maman ».


LE ROUGE-GORGE

La gamine avait poussé comme de la mauvaise herbe. Les jours s’étaient rapidement mués en mois, et les mois en années sans que jamais personne ne vienne réclamer l’enfant. Elle avait donc évolué au milieu des costumes avec une armée de poupées fardées en guise de nourrisses.

Les filles du rouge-gorge étaient connues du tout Midwich pour leurs ronds de jambe extravagants. On disait même qu’elles avaient le don de vous faire oublier l’apocalypse. Enfermées dans leur bulle de velours rouge, l’établissement ne faiblissait pas. Chaque soir, se pressait hommes et femmes, avide du spectacle et d’oublier, l’espace d’un tour de piste, le cauchemar du dehors. Le malheur des uns, fait le bonheur des autres.
-
Les lumières s’éteignent. Les silhouettes s’évaporent derrière les rideaux. Cascade de perruques, de stras et de paillettes. Tous chutent dans un même mouvement d’abandon aux pieds de leur partenaire. On trinque les porte-jarretelles pour de nouveaux fourreaux, on lasse les bottines plus vite que la lumière, les rouges à lèvres volent au-dessus des têtes. Cléo prend place dans les coulisses. Bientôt, dame Polaire jaillira des drapés sombres de la scène parée de plumes et de diamants. Comme tous les soirs, elle coupera le souffle à l’assemblée amassée à ses pieds en une ondulation de bassin. Cachée à sa place habituelle, la petite fille observe sa maman depuis le décor. Elle rêve du jour où, elle aussi, elle deviendra créature de french cancan et charmeuse de mauvais garçons. Elle verra ses victimes se brûler à son contact, se consumer avant de redevenir poussière. Les danseuses étaient condamnées à tomber amoureuse et à faire tomber amoureux pour seulement quelques minutes. C’était assez beau à voir. Elles étaient les reines du coup de foudre. Toute leur passion étant concentrée dans ces quelques instants dérobés à l’éternité.

Il parait que les hommes ont un gout de noisette quand on les embrasse et qu’à force on trouve ça équerrant.

- Cléo

Fille d’un peu toutes ses femmes, Cléo n’a pas le droit de danser. Ses mères lui répètent tout le temps que quelque chose de mieux l’attends ailleurs. Pourtant, Cléo les trouve belles toutes ses femmes libres et emplumées jusqu’au bout des seins.

LES MOTS SE CONFONDENT

Les lignes, capricieuses, lui échappent. Les mots se refusent à elle. Pourtant, elle essaye désespérément d’en saisir la substance. Le nez plongé dans un bouquin, les yeux plissés, le nez froncé, rien n’y fait. La lecture semble prendre un malin plaisir à la torturer. Les verbes se mélangent, les syllabes s’assemblent bizarrement et voilà Cléo qui tourne à droite plutôt qu’à gauche. Malgré ses essais infructueux, les p continuent à se transformer en d et les m en n. Maudite dyslexie à l’origine de son sens de l’orientation désastreux.

LE VIEUX JACK

Le vieux Jack sentait le tabac et les problèmes. Cléo l’avait toujours soigneusement évité.

LE SPLEEN

« La vérité Cléo, celle que tu ne veux pas entendre, c’est que tu es aussi vide que ton verre. » Le sang goutte sur le plancher. Le nez éclaté, la molaire gît quatre mètres plus loin. Cléo pleure de rage. La chemise de l’amant encore entre les mains, elle tremble. « Qui voudraient de toi ? Regarde-toi. » Une poigne trop franche se referme sur sa gorge et la force à faire face au miroir. Entre deux hématomes, son rouge à lèvre est ravagé. Deux yeux inondés de larmes la fixent. Cette peine, c’est la sienne. « Pauvre conne. » Pauvre conne. Privée d’air, Cléo sent sa vision se brouiller. Le flot sanguin qui pulse contre ses tympans. Un tonnerre dans les oreilles. Elle se laisse sombrer. Il n’y a plus rien à sauver.

Close to me