Little lies

True colors

Feat. Ji-Won Lee - Hyunoo

Go ahead and throw your stones
Il n’y a pas que ses traits asiatiques qui le font sortir du reste de la population locale : curieusement, quelque chose de délicat émane de la chauve-souris. Peut-être est-ce ses longs cils ou sa démarche lourde, son allure cacochyme.

Droit et fluet, son corps trop maigre a l’aspect fragile des personnes qui ne prennent pas soin de leur santé. Il n'y a aucune courbe sur cette planche de peau lisse qui s’élance à deux centimètres d’écart du mètre soixante-dix. Parsemé de quelques cicatrices bénignes, le jeune homme a une malformation génétique sous le pectoral droit, une polythélie à l’apparence d'un gros grain de beauté rose.
Son visage allongé découvre une mine fanée aux cernes creusées. Bien que ses yeux bridés n'aient aucune vivacité, ils sont étrangement intenses, comme si Khánh voyait au travers de ce qu'il regarde. Ses cheveux aussi noirs que ses iris ondulent sur sa mine sinistre et ses mèches tendent à cacher ses sourcils épais.

Le prodige attrape toujours ses vêtements au hasard dans sa garde robe et cela n’a aucune importance car il porte toujours la même chose. En effet, il a plusieurs exemplaires de même couleur et de même taille d’un pantalon serré, d’une chemise et d’une veste de costume tout en noir. Ce qui change est sa cravate : il en a beaucoup et elles ont toutes des motifs différents.
Cela lui garantit une apparence correcte, encore que ; comme il peut revêtir la même tenue quelque temps sans en changer, il dort parfois avec ses habits ce qui les froisse. Il est percé à l’oreille droite où il laisse une boucle dont il a probablement oublié l’existence.


Walking the path so many paced a million times
Il n’a le contrôle de rien. Khánh a la sensation qu’une force extérieure a l’ascendant sur son corps ainsi que sur ses pensées et ce, en permanence : cette étrangeté face à lui-même lui donne parfois l’impression d’être spectateur de sa propre existence. Tout va trop vite et pourtant, tout est incroyablement lent. Son apragmatisme est tel que s’il venait à assister à un événement horrible, il se contenterait de regarder. Pire, si la question du pourquoi il n’a rien fait lui était posée, sûrement répondrait-il qu’il ne savait pas si cela était réel. Dans un monde où rien ne semble vrai, c’est un univers tout entier qui manque de sens. Enfermé dans le passé, le présent et le futur, ses yeux voient des fléaux de jadis, de demain ou qui n’arriveront jamais : parfois bienheureux, parfois terribles. Le prodige a arrêté d’essayer de reconnaître l’exact du faux.

Son vécu altéré du temps a de nombreuses conséquences sur sa relation avec les autres, y compris lui-même. Il ne s’intéresse pas à son environnement ni n’arrive à s’y adapter : Khánh oublie les tâches même les plus minimes, délaissant ses repas ou ses corvées, plus encore ses rendez-vous. Il est une ombre insaisissable qui s’évanouit au moindre couvert et émerge à l'apparition d’un quelconque rayon de lumière, pour peu qu’il ne soit pas trop intense. La chauve-souris a des difficultés à anticiper ses gestes et ses incidences, ce qui tend à le rendre particulièrement lent à agir et lui fait détester l’effort dont sa tolérance est très basse. L’attention du jeune homme est, comme on peut s’en douter, fortement troublée et il a du mal à se concentrer par conséquent, lire ou regarder un film lui est impossible. Suivre des conversations peut parfois être une peine insurmontable si bien que Khánh préfère souvent parler tout seul. Faire plusieurs tâches en même temps est compliqué. Ses amnésies sont régulières, sûrement parce que son esprit Thérian ne peut supporter le flot perpétuel d’images de plusieurs temps simultanément.

Néanmoins il vit, le prodige, dans cette ville qui l’a vu grandir ; il aime ce monde autant qu’il le déteste, trouvant étrangement dans son appréhension un miroir de lui-même : incompréhensible, incertain et imprévisible mais fourmillant de mille intérêts. Et si les coïncidences du quotidien sont trop troublantes, si sa foi en l’humanité est inexistante, si son fil de pensées est effilé, s’il supporte difficilement le présent et ne peut se projeter dans le futur, malgré tout, l’univers est à son image : chaotique et vivant.

Wasted years

TW : discriminations sociales et ethniques, auto-mutilation, décès, maladie psychiatrique, stigmatisation



Octobre 24, 1965
Home Office
Objet : Confirmation de statut de réfugié

Monsieur Phạm Hoàng Mai,
Nous avons le plaisir de vous informer que votre demande d'asile à Midwich a été examinée et approuvée par le Home Office pour les raisons suivantes :
-  La guerre dans votre pays natal depuis 1955 ne montre pas d’évolution positive sur le court ou moyen-terme.
- Votre situation familiale, avec votre femme et votre bébé, vous met en situation précaire.

Ce document confirme votre statut de réfugié et vous est délivré à des fins d'identification. Veuillez le conserver en lieu sûr et le présenter aux autorités compétentes en cas de besoin.

Nous vous félicitons pour l'obtention de votre statut et vous souhaitons un avenir paisible et prospère à Midwich.



Janvier 8, 1970,
Professeure Natalie Buckner
Objet : Scolarité de seconde année de Khánh

Madame et Monsieur Mai,

Tout d’abord, je tiens à souligner les capacités remarquables de Khánh dans toutes les matières. Vous n’êtes pas sans savoir que votre enfant est très prometteur et ce depuis le jardin d’enfants. Sa place de premier de classe malgré votre parcours singulier est très convoitée par les autres enfants !

Cependant, je souhaite également exprimer certaines inquiétudes à l’égard du petit Khánh. En effet, j’ai noté des difficultés à s’intégrer. Il est le sujet de moqueries vis-à-vis de ses camarades en raison de vos origines. Je suis convaincue qu'avec un peu plus d'efforts de sa part, Khánh pourra trouver sa place parmi les autres lors des activités sociales et des jeux.

Je ne peux que vous conseiller de discuter avec Khánh de l'importance de s'adapter aux codes sociaux dans notre environnement éducatif.

Je reste bien sûr à votre disposition pour échanger de vive voix si vous le désirez.
Avec mes salutations les plus sincères.



Juillet 7, 1970,
Autorité de la Citoyenneté de Midwich
Délégation de Haddonfield
Objet : Confirmation de Citoyenneté

Madame Hoa Hiền Mai et Monsieur Phạm Hoàng Mai,

Nous avons le plaisir de vous informer que votre demande de citoyenneté a été examinée et approuvée par l'Autorité de la Citoyenneté de Midwich. En conséquence, vous avez acquis la citoyenneté midienne conformément aux dispositions de la loi sur la nationalité midienne. Votre citoyenneté vous confère les droits et avantages suivants :
- Vous avez le droit de résidence permanente sur le territoire.
- Vous pouvez exercer votre droit de vote aux élections locales et nationales.
- Vous avez le droit de travailler et d'étudier sans restriction et vous bénéficiez de l'accès aux services publics et aux avantages sociaux.

Conformément au droit du sol, votre enfant, susnommé Khánh Mai, né le 13 décembre 1964, hérite également de la citoyenneté midienne.

Nous vous félicitons pour l'acquisition de votre citoyenneté midienne et vous souhaitons un avenir prospère en tant que membre de la communauté midienne.



1976 ?
Mot retrouvé dans le cartable de Khánh
Crève, yeux bridés. J’espère que tu seras une merde de bêta herbivore et qu’un alpha te bouffera. Avec ta meute minuscule personne te pleurera.



Mars 12, 1981,
Enregistrement n°4
Dr en charge : Dr. Alan Jarvis

L’école, c’était avant. Je ne savais pas communiquer. Quand j’essayais, on me tapait. Je crois… Oui je crois… Ha, ce n’est peut être pas mon passé. Si ? Ha… Alors, oui. Oui. Ce n'est pas… Mes parents me laissaient souvent dans la voiture quand ils faisaient… Qu’est-ce qu'ils faisaient ? Maman voulait que je sois médecin. J'ai fait de mon mieux. Elle disait que j'étais son petit prodige, parce que j'avais des notes presque parfaites. Elles étaient parfaites ? Je ne sais pas quelles étaient mes notes. C'étaient mes notes ?
…
…
Revenir sur l’incident ? Ce n'est pas arrivé. Je ne veux pas… Je ne veux pas que ce soit réel. Il doit bien y avoir un passé, oui, un passé différent et plus beau pour moi. Je ne sais pas… Non, je crois que je ne veux pas savoir s’il existe. J'ai été aux funérailles de papa. Je crois que mort, il m’a parlé, ce jour-là. Ou alors, il était vivant, et c'était l’enterrement de maman. Je ne sais plus. Je crois qu'ils ont été enterrés ensemble. Ou ils m'ont enterré. Oui, je suis mort. Je ne sais plus. Je ne veux pas savoir !



Août 15, 1977,
Rapport d’autopsie

Nom du défunt : Hoa Hiền Mai
Sexe et genre : Femme bêta
ge au moment du décès : 33 ans
Date et lieu du Décès : Vendredi 13 août 1977 à Coffin Rocks

Antécédents médicaux : aucune condition médicale préexistante connue.
Circonstances du décès : la défunte, Hoa Hiền Mai, a été retrouvée à Danfair Timberland suite à un délire de groupe impliquant des lésions auto-infligées. Elle était déjà morte de ses blessures au moment où les autorités sont arrivées.

Aspect Général : le corps présente des marques de traumatismes cutanés étendus, y compris des éraflures, des ecchymoses et des lacérations sur plusieurs parties du corps, notamment le visage, le torse, les bras et les jambes.
Lésions Externes : en plus des blessures mentionnées, des marques circulaires étranges sont observées sur le cou et les bras du défunt, semblables à des marques de brûlure, mais sans signe de chaleur excessive ou de contact avec un objet brûlant.
Lésions internes : aucune lésion interne significative n'est observée.
Analyses Complémentaires : les résultats préliminaires des tests toxicologiques n’ont pas révélé la présence de substances psychoactives dans le système sanguin de la défunte malgré les signes de déshydratation distinctifs normalement dus à la prise d’hallucinogène.



Septembre 3, 1970,
Tribunal de Haddonfield
Juge Reginald Frank
Objet : Décision de placement du mineur Khánh Mai

Après avoir examiné attentivement toutes les preuves et témoignages présentés le 22 août 1970, le tribunal a pris la décision de placer temporairement Mr Khánh Mai auprès de la famille Sparks.

Khánh n'était en contact avec aucune autre personne de la famille Mai à l’exception de ses parents. Étant donné la situation actuelle de son pays d'origine, il serait difficile d’y trouver quelqu'un et de renvoyer l’enfant là-bas. De plus, son père étant encore hospitalisé, il est possible que ce dernier puisse reprendre la garde une fois rétabli, même si cela reste incertain vu son état.

La famille Sparks a déjà traité avec des enfants traumatisés et saura accueillir et soutenir Mr Khánh Mai.

Le tribunal rappelle à toutes les parties impliquées que cette décision est contraignante et doit être respectée. Tout manquement aux termes de cette décision pourrait entraîner des mesures légales supplémentaires.



Février 1, 1978,
Journal Porte du Salut, rubrique L’Echo

Il est impératif, ce mois-ci, de répondre aux multiples sollicitations de nos estimés lecteurs en revenant sur l'épisode tragique qui a secoué l'opinion publique l'été dernier : le déplorable drame de Danfair Timberland. En effet, si ce n’est une énumération des faits et de gros titres sensationnels, aucun magazine n’a parlé de la problématique sous-jacente de ce tragique accident.

Il apparaît manifestement que toutes les personnes impliquées faisaient partie du même groupe de cultistes. Ils se regroupaient de manière impromptue à des dates, heures et lieux différents. Plusieurs témoignages à Coffin Rock nous permettent d’affirmer que le jour du drame, les impurs cherchaient ce qu’ils nomment la Couleur après avoir entendu différentes rumeurs sur son apparition récente dans la forêt de Danfair Timberland.
Il serait difficile de lister ici toutes leurs turpitudes tant elles sont ignobles ; néanmoins, beaucoup d’entre vous ont probablement lu le travail de nos confrères moins scrupuleux sur les actes déviants réalisés par cette organisation de cultistes. Nos sources ont pu confirmer l’acte irréfléchi de la famille Mai : ils emmenaient régulièrement leur fils avec eux, quand bien même, et fort heureusement, ce dernier restait dans la voiture. Excepté le soir du drame où il en est sorti, alerté par les cris.

Le pauvre enfant, âgé de seulement 13 ans, est plongé dans la tourmente de la folie. Comment pourrait-il en être autrement face au cadavre de sa mère et de quelques autres anonymes ? Voilà un triste exemple des désastreuses conséquences de ceux ne souhaitant pas entendre la Raison : des victimes, des dommages collatéraux dont des enfants livrés à eux-mêmes. Leur inconscience met en péril l'harmonie et la stabilité de notre communauté. Et si quelques cultistes lisent cette revue, je tiens à leur dire ceci : il est temps de prendre conscience que nos actions ont des répercussions bien au-delà de notre cercle immédiat.

Concernant le jeune Khánh Mai, peu après le décès de son père Phạm Hoàng Mai le 14 janvier 1978, le garçon a été admis en hôpital psychiatrique. Une association religieuse s’est proposée de le suivre pour le libérer de la Passion de ses géniteurs, toutefois, il semblerait que son cas soit trop extrême. Puissent ces mesures offrir à ce malheureux enfant la Raison offerte par le Père-de-Tout.



Mai 22, 1980,
Lettre du Dr. Alan Jarvis aux ressources humaines

A qui de droit,

Je vous écris pour vous faire part de mes sérieuses préoccupations concernant mon patient, Mr Khánh Mai. Il souffre de schizophrénie paranoïde depuis plusieurs années, et sa condition nécessite une attention particulière d’autant plus que le patient est récemment entré dans sa période de puberté, révélant par ailleurs son appartenance au genre Oméga.

Récemment, plusieurs infirmières m’ont informé qu’un individu louche rôdait aux alentours de l’hôpital. Malgré mes demandes répétées à cette période, la sécurité n’a pas été renforcée. A ce moment-là, nous ne savions pas que l’individu cherchait à entrer en contact avec M. Khánh Mai.
L’individu a finalement été appréhendé par les autorités lorsqu’il est parvenu à ses fins lors de la séance d’électroconvulsivothérapie hebdomadaire du patient. Cela a provoqué une crise d’angoisse conséquente chez M. Khánh Mai.
Il s’est avéré que l’individu est un cultiste parvenu à le retrouver grâce aux médias qui n’ont pas manqué de relater la triste histoire de Mr Khánh Mai dans les moindres détails.

Il est impératif que des mesures soient prises pour protéger nos patients lorsque nous vous alertons de dangers potentiels mais également que le secret médical soit mieux gardé.
Face à cette impasse et à l'urgence de la situation, nous avons décidé de recourir à la grève comme moyen légitime de faire entendre nos voix et de revendiquer des changements significatifs.



Août 23, 1982,
Tribunal de Haddonfield
Objet : Décision de mise sous tutelle

En raison de l'état de santé mentale de Mr Khánh Mai et son incapacité à prendre soin de lui-même, le tribunal ordonne la mise sous tutelle pour assurer sa protection et son bien-être.
Le tuteur légal est autorisé à prendre toutes les décisions nécessaires concernant les soins médicaux, les finances, le logement et tout autre aspect de la vie de Mr Khánh Mai.

Les efforts et l’amélioration de l’état de santé de Mr Khánh Mai ont motivé la décision du tribunal. En effet, le jugé a cessé de s’auto-mutiler peu après son admission en hôpital psychiatrique et son traitement semble avoir considérablement réduit la fréquence de ses délires. En outre, il est totalement en capacité d’interagir avec autrui et il démontre une certaine indépendance.

Le tribunal ordonne des révisions périodiques de la situation de Mr Khánh Mai afin de s'assurer que la tutelle est toujours nécessaire et appropriée.



Décembre 12, 1982,
Enregistrement n°71
Dr en charge : Alvin Mueller

Non, je ne prends plus mon traitement. C'est idiot. Comme si des cachets pouvaient effacer le savoir du Seigneur de Minuit.
…
…
Hein ? Pardon, je répondais à lui. Mais il n’est pas encore arrivé.



Novembre 13, 1982,
Lettre anonyme envoyée au fanzine Fan d’Occulte

C’est fou qu’on trouve encore des gens qui parlent de ça dans votre torchon, il se passe rien d’autre, à la capitale ? En vrai, touché par la lune ou schizophrène, on s’en fout un peu, non ? Franchement, c’est du gâchis. Les Omégas ne courent pas les rues, mais en plus, on en a avec des maladies mentales. C’est aussi triste que risible. Surtout un mec qui était aussi prometteur que lui, un monsieur parfait. Il aurait pu devenir médecin ou homme politique. Le prodige, c’est ça, ouais. Quelle ironie. Je vais vous dire : heureusement qu’il est à l’ouest, parce que tout le monde veut juste lui cracher dessus. Avec un peu de chance il est bon à pondre des gosses qui finiront mieux que lui.

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